Cyrano

Il me faut une armée entière à déconfire !
J'ai dix coeurs, j'ai vingt bras, il ne peut me suffire
De pourfendre des nains ! Il me faut des géants !

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

jeudi 30 avril 2015

Nous les menteurs, de E. Lockhart : une grosse claque dans ma gueule

De E. Lockhart
traduit de l'américain par Nathalie Perrony

Résumé : Cadence Sinclair est l'aînée des petits-enfants Sinclair, riche famille blanche américaine "parfaite". Chaque été, elle retrouve ses tantes, ses grands-parents et ses cousins sur l'île privée familiale. Chaque famille dispose de sa villa personnelle. Cadence, ses cousins Johnny et Mirren, et Gat, le meilleur ami de Johnny, forment à eux quatre les Menteurs. Les deux mois d'été sur l'île des Sinclair constituent des moments intemporels où leur amitié surpasse tout.
À l'été quinze, tout change. Un accident dont Cadence ne se souvient pas la laisse avec de graves séquelles, des migraines si violentes que la douleur la cloue au sol et lui donne envie de mourir. On lui diagnostique une commotion cérébrale.
Deux ans plus tard, Cadence revient passer l'été sur l'île pour la première fois depuis l'accident, dont elle ne se souvient toujours pas. À vrai dire, elle n'a que peu de souvenirs de l'été quinze... Et sur l'île, tout a changé. Grand-père est sénile, les tantes ne se disputent plus pour l'héritage, les petits cousins font des cauchemars... De retour parmis ses Menteurs, Cadence a un mois pour découvrir ce qui s'est passé pendant l'été quinze, ce qu'elle a oublié, et que tout le monde semble déterminé à lui cacher...

Chronique : Faut le dire, c'était mal parti : je venais de finir I'll give you the sun, de Jandy Nelson, et bon, c'était un roman tellement parfait qu'enchaîner sur un autre c'était me condamner à ne pas apprécier ma lecture autant que j'aurai pu sans l'influence du livre précédent. (Si vous n'avez pas compris cette phrase c'est pas grave.)
Sauf qu'au bout de trois chapitres tu es intrigué, ou bout de dix tu te demandes "mais que diable s'est-il passé à l'été quinze ?", vers la moitié du bouquin il est trois heures du matin et tu ne peux pas aller te coucher parce que tu as besoin de savoir ce qui s'est passé à l'été quinze, ta santé mentale en dépend.
Le lendemain tu as fini le bouquin, tu t'es pris une grosse claque dans la gueule et bon, me mettre dans cet état derrière Jandy Nelson ? Fallait le faire, chapeau Lockhart.
La force de ce roman, c'est la façon dont sont agencées les pièces du puzzle. Il est impossible de deviner le fin mot de l'histoire tant qu'on ne nous l'a pas donné, et une fois qu'on a compris tout s'emboite, tout devient logique. On s'est posées des tas de petites questions sans importance au cours du roman, on les a oubliées au fur et à mesure parce qu'elles étaient sans importances, justement. Le dénouement nous les rappelle d'un coup en nous apportant une réponse -une seule, qui répond à tout. Je me souviens, je me suis assise d'un coup dans mon lit en articulant (en silence parce que comme dit plus haut c'était le milieu de la nuit) "QUOI ?". Et j'ai lu les dernières pages en chuchotant "mais bien sûr, c'est pour ça... Mais bien sûr...". Du génie.
Cadence est la narratrice de l'histoire, et c'est donc avec elle que nous remontons pas à pas la piste de l'été quinze. Ses questions sont nos questions : que lui est-il arrivé de si horrible pour que son inconscient ait tout refoulé ? Pourquoi personne ne veut-il lui raconter ce qui s'est passé, pas même les Menteurs ? Qu'est-ce qui a bien pu changer sa famille à ce point ? On ressent sa frustration quand elle tient un morceau de la vérité mais tire dessus en vain, sans parvenir à agripper le reste.
La narration est jalonnée de contes inventés par Cadence, qui sont tous des métaphores de sa famille, mais qu'elle recommence à mesure qu'elle découvre de nouvelles choses. Tous commencent par "Il était une fois un roi qui avait trois filles", le roi étant le grand-père Sinclair, le patriarche, les trois filles étant la mère et les deux tantes de Cadence. Ces petits contes éparpillés dans le récit, en plus d'apporter une rupture narrative qui maintient le lecteur en haleine, permettent de s'arrêter pour faire le point assez régulièrement. Ainsi on ne se retrouve jamais confus, on sait toujours où on en est dans les recherches de Cadence.
Les Menteurs, qui constituent les quatre personnages principaux, dégagent une force de caractère à la fois adolescente et guerrière. Ce qu'on prend dans un premier temps pour une bande de gamins trop gâtés s'avèrent être des guerriers trop longtemps malmenés, plus forts que les adultes autour d'eux (et nous les lecteurs) ne s'en doutent, des enfants qui refusent de se laisser manipuler, de devenir comme leurs parents. Et qui y arrivent, après tout.

Un récit prenant, haletant, angoissant.
À lire.

Corneillement vôtre,
Jo

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