Cyrano

Il me faut une armée entière à déconfire !
J'ai dix coeurs, j'ai vingt bras, il ne peut me suffire
De pourfendre des nains ! Il me faut des géants !

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

mercredi 15 juillet 2015

Tous nos jours parfaits, où la chronique qui ne voulait pas venir

Bonjour ! Oui, je sais, j'avais promis cette chronique pour la semaine passée, mais elle n'a pas voulu sortir, que voulez-vous que je vous dise ? D'ailleurs elle n'est toujours pas motivée mais comme il va bien falloir que je la ponde, et que je pars en vacances Dimanche, j'ai décidé de distribuer les coups de pied au derche, alors me voilà.

Merci à Gallimard Jeunesse pour cet envoi inopiné et cet excellent timing (la bête est arrivée à Paris deux jours avant moi).
Tous nos jours parfaits
de Jennifer Niven
traduit de l'anglais par Vanessa Rubio-Barreau

Résumé : Violet et Theodore ont beau fréquenter le même lycée, ils ne s'étaient jamais rencontrés ni même adressés la parole avant ce jour curieux où ils se retrouvèrent par hasard en même temps assis au sommet d'une tour, à contempler l'idée de tout plaquer et de sauter. Théo étant un habitué des envies de suicide, il se charge de remettre Violet du bon côté de la rambarde, et tombe, plutôt que dans le vide, sous son charme. Violet est une fille sage, dans la norme, avec une bande de potes. Théo est le clown de service, le casse-cou qui arrive à l'école peint en rouge, ou fracasse un bureau contre un tableau noir. Ils n'ont rien en commun, sinon un mal être qui les empoisonne. Théo trimballe le sien depuis qu'il est enfant, celui de Violet s'est installé il y a quelques mois, à la mort de sa soeur jumelle.
Peut-on remettre quelqu'un sur les rails quand on est soi-même à côté de la plaque ?

Ma chronique : Comment dire ? Je savais que ce livre allait gentiment me briser le coeur façon Titanic rien qu'au résumé, mais je n'en ai pas pour autant devinée la fin... Excusez-moi, j'essaie de vous donner mon sentiment sans vous spoiler... On va reprendre du début.
Tous nos jours parfaits est un de ces pavés qu'on trimballe jusque sur la terrasse pour le lire au soleil, dans un transat. Je ne sais pas si John Green a lancé une tendance ou si ça a commencé avant lui, mais depuis quelques temps je trouve partout des histoires d'amour entre deux personnages qui ne vont pas bien (que ce soit physiquement ou psychologiquement). D'ailleurs j'en ai écrit une. Tous nos jours parfaits, c'est ce genre de livre qui te fait te retrouver bien ennuyé quand on te demande de quoi ça parle, parce qu'à part "c'est l'histoire d'une fille et d'un garçon qui veulent se suicider et qui tombent amoureux", y a pas grand chose qui te vient. Si, en plus, tu ajoutes, la bave aux lèvres/larme à l'oeil "c'est trop beaaaaaaau !" les gens te regardent d'un air bizarre. Sauf que...

Bah, c'est vrai. C'est exactement ça. Et c'est ma-gni-fique.

Les chapitres sont narrés à tour de rôle par Theodore et Violet, et oui, okay, j'ai un chouchou, c'est Theodore. C'est peut-être purement subjectif mais j'adore quand c'est lui qui narre, parce qu'il vit dans un monde complètement décalé et qu'il a une façon lyrique et imagée de dire les choses. Théo se pose sans arrêt des questions (que personne d'autre ne se pose, d'ailleurs, cherchez l'erreur), il est très indépendant parce que son père est parti et que sa mère est démissionnaire, oh et il a un super pouvoir : il peut débiter cinquante mensonges à l'heure avec tout le naturel et l'innocence du monde. On lui donnerait le bon Dieu sans confession -je me demande bien ce qu'il en ferait, le pauvre chéri. Théo est le genre de type qui fait des trucs de dingue sans arrêt parce que s'il ne le fait pas il tombe dans ce qu'il appelle le Grand Sommeil, et alors attendez, faut qu'on en parle.

Le Grand Sommeil est une notion qui revient souvent dans les parties narrées par Théo, et si je devais pointer un truc pas tout à fait positif dans ce que j'ai pensé de ce bouquin, ce serait ça, parce que c'est hyper flou. Théo n'explique jamais clairement ce que c'est, et comme il n'en parle avec personne d'autre que lui-même (et donc nous) il ne ressent jamais le besoin d'expliciter le phénomène -en même temps, s'il se racontait à lui-même un truc qui lui arrive souvent, ça serait pas crédible, je comprend le dilemme de l'auteur. Mais du coup ça laisse le lecteur sur sa faim : qu'est-ce que le Grand Sommeil ? Parce que connaissant Théo ça peut aussi bien être une image pour un truc qui ne correspond pas du tout au sommeil à proprement parler. Est-ce qu'en période de Sommeil il dort pour de bon ? Est-ce que c'est une sorte de coma ? (Improbable, sinon sa mère serait au courant, quand même.) Est-ce qu'il est narcoleptique ? Est-ce qu'il souffre de cette maladie bizarre que j'ai vue dans Docteur House où tu "zappes" des passages entiers de ta vie, style t'es en train de prendre ton petit-dej et tout d'un coup c'est le soir sauf que pour toi ça fait dix secondes ? Autant de questions auxquelles le livre n'apporte jamais de réponse claire, du coup j'avoue que ça m'a légèrement frustrée. Mais bon, l'histoire déchire, alors ce petit "plot hole" se surmonte très bien.

J'ai bien aimé les passages de Violet, même s'ils m'ont moins intéressée que Théo. En fait la grosse différence entre leurs deux situations c'est que Violet n'est pas bien pour une raison précise : la mort de sa soeur. Elle culpabilise parce qu'en plus elle était avec elle, et y a plein de trucs qu'elle n'ose pas faire parce que le fait que sa jumelle ne soit pas là lui donne en quelque sorte l'impression qu'elle n'a plus le droit de vivre. Théo, lui, n'est pas bien depuis beaucoup plus longtemps, l'élément déclencheur étant un évènement somme toute pas si traumatisant que ça, dans son enfance, et depuis, comme il n'a pas été pris en charge correctement, d'autres trucs sont venus s'accumuler jusqu'à ce que son mal de vivre devienne une ambiance, une constance dans sa vie, dont la source s'est multipliée. (Je sais pas si c'est très clair, ce que je raconte. Lisez le bouquin, vous comprendrez.)

Leur histoire d'amour est vraiment bien construite, touchante, sans trop de niaiserie, mais surtout, personnellement, je me suis sentie surprise, parce que Théo a une manière bien à lui de courir après une fille (par moment ça frôlait le harcèlement mais comme il fait souvent des trucs limites c'était cohérent avec le personnage), du coup ça change un peu des histoires d'amour habituelles (toujours entre le "éloigne-toi, je vais te faire du mal" et le "tu mérites d'être aimé(e) même si tu ne le penses pas").

Je vais arrêter là avant de commencer à vous raconter la fin. En tous cas je recommande totalement cette histoire, mais ayez une boite de mouchoirs à portée de main et vraiment, âmes sensibles : abstenez-vous, pour votre propre bien.

Un roman qui fait passer le lecteurs par toute une gamme d'émotions différentes, une histoire d'amour un peu différente, le monde vu par les yeux d'un garçon pas comme les autres ; une belle histoire, à lire d'urgence.

Corneillement vôtre,
Jo

lundi 6 juillet 2015

La légende de Lee-Roy Gordon, par Aurélie Gerlach

Deux chroniques qui vont se suivre en ce début de semaine, car fraichement de retour du Canada j'ai trouvé des colis sur la table de la cuisine. On commence par le plus joyeux, je vous parlerai du dramatique demain.

Note : Merci, merci, merci Aurélie Gerlach pour ce super cadeau parce qu'au cas où mes status facebook délirants n'auraient pas été assez clairs j'ai a-do-ré !


Résumé : Morgane a dix-sept ans, elle a raté son bac, est en conflit avec sa mère et, par extension, n'a ni l'intention de retourner au lycée ni d'aller à l'université. Lee-Roy Gordon a plus de soixante ans, un grave problème d'alcool, un passé de rocker de génie, et s'apprête à faire son come-back.
Ces deux hurluberlus, ainsi que quelques autres, se rencontrent dans la cuisine étriquée du petit label Burning Spirits. Inutile de dire que ça va faire des étincelles...

Chronique : Je ne vous présente plus Aurélie Gerlach, passons à... Comment ? Il est encore nécessaire de la présenter ? Je sais pas, l'auteur des aventures de Lola Frizmuth, y a que moi qui recadre ? Ouais, le truc à hurler de rire qui se passe au Japon, avec des personnages déjantés et des péripéties de malade, là ? Oui, voilà, l'histoire à la fin de laquelle vous avez trois côtes fêlées à force de réprimer votre fou-rire en plein milieu de la nuit. On s'y retrouve. Je peux reprendre ?

Comme je le disais, Aurélie Gerlach a encore frappé, et comme j'ai eu la joie/bonheur/chance inouïe (ne rayer aucune mention, aucune n'est inutile) de trouver un exemplaire de son dernier chef d'oeuvre dans ma boite aux lettres, je vais vous piquer cinq/dix minutes de votre temps et piquer une crise d'hystérie par écris.

Les enfants, j'avais tout juste lu le prologue que je me régalais déjà. Pourtant il ne s'était pas encore passé grand chose, mais la plume fraiche, légère et pleine d'humour d'Aurélie était déjà bien là. Comme dirait mon frangin "on reconnaît la papatte du maître" !
Pour ceux qui ont suivi les aventures de Lola, on se souviendra que le dernier tome se déroulait dans le monde de la musique. Aurélie y a visiblement pris goût, nous voici plongés tête la première dans une aventure déjantée avec du rock britannique des années 60 en fond sonore. Du grand délire. Comme Mademoiselle Gerlach goûte volontiers le gangster, les héros se retrouvent dans les ennuis jusqu'au cou, avec bagarre et flingues au menu du jour, s'il-vous-plaît !
Parmi les personnages, on compte entre autres Morgane, qui pourrait être la grande soeur de Lola en un chouïa plus calme et un tantinet plus littéraire -on a levé le pied sur le smileys, les abréviations et les "lol". Bon, soyons honnête : Morgane et Lola ont beau avoir la même maman, elle n'ont pas grand chose en commun, si ce n'est d'être aussi attachantes l'une que l'autre. Morgane se cherche, est influencée à l'envers par sa mère (oui, à l'envers, parce qu'au lieu de faire ce qu'on lui dit elle fait le contraire, ce qui est une forme d'influence en creux), cherche à s'échapper sans trop savoir d'où ni par où. Un job chez Burning Spirits lui apporte quelques éléments de réponses -encore qu'à sa place, à la fin de ce ram-dam, je conclurai qu'on est jamais aussi bien que chez soi. Les gangsters italiens et les producteurs psychopathes, moi je... Fin bref.
Dans la famille de bras cassés, on nous présente le second personnage principal : Lee-Roy Gordon, un vieux rocker à la retraite un peu (*ahem* astronomiquement *ahem*) porté sur la bouteille. Lee-Roy a un caractère de merde, passez moi l'expression, mais se prend d'affection pour Morgane -entre paumés qui partent au quart de tour, on se comprend. Le bonhomme a été une star, à son époque, et s'apprête à enregistrer un nouvel album, et même à faire de la musique en général pour la première fois en quarante ans. Je dois le dire, ce vieux cinglé fut mon personnage préféré : complètement barré, inconscient comme un gamin, plus bourru que Dean Winchester, mais un coeur énorme. J'en veux un pour remplacer ma conscience, tiens.
Comme d'habitude, on trouve autour de ces deux zigotos toute une troupe de joyeux drilles aux caractères et personnalités diverses : Guillaume le producteur, Enguerrand le stagiaire, Filomène la... Filomène, les vieux copains de Lee-Roy, bref, une belle foire d'empoigne. Notre petit groupe va partir en vadrouille, de Birmingham en Angleterre jusqu'à Los Angeles (en Laponie pardon), le tout dans une ambiance à la fois barrée et pleine d'émotions : Lee-Roy a laissé pas mal de gens blessés dans son sillage, autrefois, et alors que le vieux rocker affronte son passé, Morgane, elle, doit se préoccuper de son avenir. Ce qui m'a d'ailleurs particulièrement plu, c'est que chacun donne des conseils à l'autre pour affronter leurs angoisses et leurs épreuves respectives. C'est peut-être pour ça que Lee-Roy et Morgane s'entendent si bien alors qu'ils sont si différents : chacun est exactement ce dont l'autre avait besoin au moment où ils se sont rencontrés...

C'est un livre qui m'a fait rire, sourire, pousser des "aaaaaaw" émus... Et qui m'a sans vergogne empêchée de me coucher à des heures décentes, mais ça pour le coup je commence à avoir l'habitude. Je l'ai dévoré avec plaisir, traversant toute la gamme des émotions les plus diverses. J'aime ce genre d'histoire qui rend hystérique et qui fait du bien à l'âme.

Un mot de plus et je vais vous spoiler, alors j'arrête là, mais retenez le principal : des personnages déchaînés, une histoire déjantée, du rock, des gangsters, des bagarres, des flingues, et une belle dose d'émotion, bref, tout ce qu'il faut pour passer un moment de lecture épique et badass.

Tous à la librairie !

Corneillement vôtre,
Jo