Cyrano

Il me faut une armée entière à déconfire !
J'ai dix coeurs, j'ai vingt bras, il ne peut me suffire
De pourfendre des nains ! Il me faut des géants !

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

mercredi 16 janvier 2013

Chronique (acte 19, scène 815) : La Décision, d'Isabelle Pandazopoulos

La Décision
d'
Isabelle PANDAZOPOULOS



Tout d'abord et comme d'habitude, un grand merci à Gallimard Jeunesse pour l'envoi de ce court roman (environ 250 pages) très fort (peut-être justement parce que très concentré) sur le déni de grossesse et la maternité adolescente.

Résumé : Un matin Louise, dix-sept ans, a un malaise en cours de maths. Dans l'heure qui suit, elle accouche seule d'un petit garçon de 3,3 kg. Le bébé semble sorti de nulle part, personne n'avait remarqué qu'elle était enceinte, elle encore moins. Elle n'avait pas du tout de ventre, aucun des symptômes, rien... Louise n'a pourtant jamais couché avec personne, elle en est sûre...
Au fil du roman, l'histoire nous est dévoilée par les yeux de différents personnages : Louise, ses parents, ses amis, les professionnels qui l'encadrent. Ce n'est pas juste un roman racontant l'histoire d'une adolescente vivant un déni de grossesse, c'est un documentaire bouleversant sur un sujet dérangeant et mal connu.

Ma chronique : Vous le savez si vous me suivez depuis longtemps, ou tout simplement si vous me connaissez dans la réalité : ce genre de bouquins, en général, ce n'est pas ma tasse de thé. Celui-là, rien à faire, il fallait le lire, boulot de chroniqueur oblige -eh ! On ne peut pas toujours chroniquer des dystopies ou de la fantaisie, si ? Alors je l'ai ouvert, calée dans le siège de la voiture qui m'emmenait réveillonner chez grand-mère... Tout de suite, j'ai été happée, scotchée, emprisonnée. Puis relâchée, deux ou trois heures plus tard, les yeux brûlants, la tête pleine de pensées. J'ai regardé le paysage défiler en digérant ce que je venais de lire. Depuis, près de trois semaines sont passées, on a même changé d'année. Il est temps de mettre mon ressentis par écris.
Ça commence, on est dans la tête de Samuel, petit génie qui a sauté deux classes, assis à son cours de maths. Presque immédiatement après notre arrivée, Louise se lève, malade, et sort. "En sortant, elle a tout emporté", pense Samuel. Le point de vue de l'adolescent souligne d'autant plus durement le décalage avec ce qui s'est passé : c'était un jour comme les autres. Les choses comme ça arrivent toujours un jour comme les autres. On a tous vécu un événement comme celui-là, vous savez quand, le soir, en y repensant, on réalise que lorsqu'on s'est levé le matin, on ne se doutait de rien. Ce matin encore, c'était un jour comme les autres. Et on oublie que les jours bizarres commencent toujours comme les autres, avec la sonnerie du réveil et le levé du soleil.
Ce matin d'un jour comme les autres, Louise va accoucher seule dans les toilettes de l'école. À la voix de Samuel succède celle du proviseur de son lycée, puis des parents de Louise, des infirmières, assistantes sociales, sages-femmes. Quand la voix de Louise se fait entendre à son tour, elle est éraillée, chaotique. Comment se relever d'un coup pareil ? Tout a éclaté et elle n'a même pas la force de ramper pour ramasser les morceaux. Un morceau en particulier. Le morceau d'elle qui dort dans une autre pièce, au milieu des autres bébés...
C'est un roman qu'on ne peut pas lâcher. Une spirale qui nous entraîne de bout en bout, du début jusqu'à la fin. La vie est un tapis roulant, on est bloqué sur celui de Louise le temps de 250 pages, et on ne peut pas descendre en marche. Jusqu'à la révélation, et la décision, celle à laquelle on pense le plus tard possible, mais qu'il faut prendre, finalement... Car la course du temps force à regarder devant soi, sinon c'est la chute au fond du gouffre, le mur contre lequel on va s'écraser faute d'avoir osé regarder le virage. Louise, déchirée, doit se reconstruire, se suturer elle-même. Tout le monde veut l'aider mais la vérité que les mots d'Isabelle Pandazopoulos laissent apparaître en transparence, c'est que dans ce genre d'épreuve, aide-toi. Car personne ne peut le faire pour toi. Amis et famille peuvent bien tendre les bras, prêter leurs épaules et leurs mouchoirs, ils ne peuvent pas faire eux-même le ménage dans notre tête, ni prendre une décision à notre place car alors elle n'a plus de sens. Et plus que tout, ils ne peuvent pas décider de vivre pour nous.

J'ai apprécié les changements de point de vue, qui permettaient d'appréhender la situation sous différents angles. On passe suffisamment de temps dans la tête de Louise pour comprendre ce qui se passe et où on en est. Qui plus est, vu l'état dans lequel elle est, je ne sais pas si j'aurai bien vécu d'être constamment dans sa tête, et ce genre d'histoire ne peut se raconter que de l'intérieur.
Le ton est juste et le demeure tout au long du roman, comme un noeud très serré qui ne se délie pas. Un bon livre. Dur, fort, mais bon.

Voilà, je crois que tout est dis. Je ne peux pas dire que ce livre m'ait plus parce qu'il n'est pas fait pour ça. Il m'est rentré dans la tête, il a pris le plus de place possible et il m'a fait réfléchir. Mes petites cellules grises ont chauffé comme pas permis. Alors je le recommande pour ça. Pour apprendre, comprendre, et surtout pour savoir. Ça n'arrive pas qu'aux autres. Et quand ça arrive...

Merci à l'auteur et aux éditions Gallimard Jeunesse !