Cyrano

Il me faut une armée entière à déconfire !
J'ai dix coeurs, j'ai vingt bras, il ne peut me suffire
De pourfendre des nains ! Il me faut des géants !

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

lundi 30 mars 2015

Chronique : Le mystère de Lucy Lost

Merci à Gallimard Jeunesse pour l'envoie de ce roman.
Le mystère de Lucy Lost
par Michael Morpurgo
Traduit de l'anglais par Diane Ménard

Résumé : Iles Scilly, mai 1915 : Jim Wheatcroft et son fils Alfie sont à la pêche aux maquereaux lorsqu'ils découvrent une petite fille malade, blessée et muette sur l'île de St Helen's. Diagnostiquée amnésique par le médecin local, l'enfant ne prononce qu'un seul mot : "Lucy". Les insulaires la baptisent donc Lucy Lost. Les Wheatcroft décident d'adopter la petite fille jusqu'à ce qu'elle puisse retrouver sa famille.
New-York, mars 1915 : la jeune Merry et sa mère se préparent à partir pour l'Angleterre afin de rejoindre le père de Merry, à l'hôpital à cause d'une blessure de guerre reçue dans les tranchées. Pour traverser l'Atlantique, elles vont embarquer à bord du Lusitania...

Chronique : J'ai beau en avoir soupé des histoires de guerre, il n'y a rien que j'aime autant que les histoires qui se passent pendant une de nos deux guerres mondiales -cherchez pas la logique... Et puis les histoires comme celle-là, qui se dévoilent petit à petit, c'est ce que je préfère. Je ne suis pas surprise par le contexte historique choisi par l'auteur de Cheval de guerre, cela dit.
Le mystère de Lucy Lost se déroule dans un archipel d'îles britanniques, pendant la première guerre mondiale. L'atmosphère est d'autant plus tragique que l'histoire est inspirée d'un fait réel : le torpillage d'un paquebot rempli de passagers, épisode terrible et meurtrier de la guerre des sous-marins.
Fidèle à moi-même, je vais bien entendu vous parler des personnages, mais on va aussi discuter de la forme du roman, parce que ça compte tout de même. Mais pour commencer parlons de Lucy : c'est le personnage principal du roman et je l'ai particulièrement aimée car elle passe la majeure partie de l'histoire à se reconstruire. Au début le lecteur n'en sait pas plus sur elle que les autres personnages -même si la quatrième de couverture nous laisse deviner qu'elle a été victime d'un naufrage. Lucy est complètement traumatisée et amnésique, ce qui nous amène à nous poser des millions de questions et à échafauder toutes sortes de théories. Mais on s'attache très vite à elle et savoir qui elle était avant n'a finalement pas tant d'importance que ça. J'ai toujours cru qu'on pouvait apprécier les gens, même complètement cassés, sans ressentir le besoin de les réparer. Lucy, une fois remise de d'aplomb physiquement, est un personnage attachant, non pas malgré mais avec ses silences, ses dessins, son amour inexplicable pour le piano, sa capacité à monter un cheval rétif sans employer la force, sa peur de l'eau et tout ce qu'on ne sait pas sur elle. Si l'histoire ne se déroulait pas pendant une période de trouble, je pense que les autres personnages n'auraient pas mis autant d'énergie à découvrir qui Lucy était vraiment, car cela aurait eu moins d'importance. Ils l'auraient aimée et intégrée sans rien demander de plus...
Seulement le récit se déroule en 1915, et très vite une rumeur se répand comme quoi Lucy serait allemande -elle garderait le silence car elle ne parlerait pas anglais. Il devient donc nécessaire, pour sa protection, de découvrir sa véritable identité afin de prouver qu'elle n'est pas une espionne. Ce qui nous amène à Alfie : c'est un garçon de douze ans (le même âge que Lucy). Ce que j'ai particulièrement apprécié chez lui c'est sa normalité. Contrairement à beaucoup de héros, Alfie n'as rien d'extraordinaire. C'est un petit garçon comme les autres qui n'aime pas l'école, aide aux tâches ménagères, se bagarre et va pêcher avec son père. Mais sa capacité à donner de l'affection à tous sans se préoccuper de détails comme, par exemple, leur état mental, le rend particulièrement touchant. Dans un sens Alfie m'a fait penser à mon propre frère : il est aussi agaçant qu'un garçon de douze ans puisse l'être mais quand la situation l'exige il devient très sérieux et agit de façon responsable et réfléchie. Sa relation avec son oncle Billy est très belle, pleine d'acceptation de l'autre avec et non pas en dépit de ses différences. J'ai eu l'impression de retrouver ce message plusieurs fois au cours de ma lecture et ça me l'a rendue d'autant plus agréable.
Les autres personnages m'ont également beaucoup plu car ils sont tous bien campés et reconnaissables, avec leurs traits de caractères et leur façon de parler. Le docteur Crow nous apparaît souvent à travers son journal de bord, de même que l'instituteur, ce qui est logique car tous deux sont considérés comme des "savants" sur leurs îles de pêcheurs et de paysans. Mais leurs journaux sont rédigés de manière très différente, ce qui met en valeur leurs caractères respectifs. Les conversations de Jim et Mary sont caractérisées par leurs années de mariage : on sent à travers leurs mots et leur façon de se répondre qu'ils se connaissent, qu'ils savent ce qu'ils doivent dire dans telle ou telle situation pour aider l'autre, et j'ai trouvé leur relation enthousiasmante.
Avant de clore cette chronique je voulais tout de même dire un mot à propos de la forme : le roman fait des bonds dans le temps, car si la majorité de l'action se déroule à partir de mai 1915 et est concentrée sur Lucy, Alfie et le temps qui passe dans les îles Scilly, plusieurs chapitres nous font revenir en arrière et nous emmènent à New-York, en mars de la même année. On y rencontre Merry, une petite fille qui s'apprête à traverser l'Atlantique avec sa mère pour rejoindre son père, soldat blessé en Angleterre. Ces chapitres "flash-backs" ne sont en rien gênant dans la compréhension de l'histoire et le lien avec les chapitres aux îles Scilly se fait assez rapidement et naturellement. Je tenais à en parler car il est toujours délicat d'écrire selon un ordre non-chronologique, et Michael Morpurgo y arrive suffisamment bien pour ne pas nous perdre.

En résumé, un roman débordant de personnages attachants aux relations belles et enthousiasmantes, mais également une petite leçon d'histoire. J'ai appris un certain nombre de choses que j'ignorais, non seulement à travers l'histoire mais aussi grâce aux quelques pages supplémentaires, en fin d'ouvrage, qui éclaircissent certains points et séparent la fiction de la réalité.
À mettre entre toutes les mains !

Corneillement vôtre,
Jo