Cyrano

Il me faut une armée entière à déconfire !
J'ai dix coeurs, j'ai vingt bras, il ne peut me suffire
De pourfendre des nains ! Il me faut des géants !

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

mercredi 14 mai 2014

Ici et maintenant, par Ann Brashares


traduit de l'américain par Vanessa Rubio-Barreau


Résumé : À la fin du XXIe siècle, l'humanité a été ravagée par les épidémies. Le réchauffement climatique fait proliférer les moustiques qui répandent les maladies à toute vitesse. La peste de sang a déjà emporté les deux jeunes frères de Prenna quand sa famille est choisie pour participer à un programme d'immigration. Ils ne partent pas dans un autre pays, cependant. Le groupe d'immigrants s'apprête à retourner dans le temps jusqu'à notre époque, aux années 2010. Ils ne cherchent pas seulement à se mettre à l'abris des épidémies, ils veulent changer le cours du temps, étudier suffisamment notre époque pour repérer précisément les événements qui ont mené à leur situation, et les empêcher.
Les règles sont strictes pour les immigrants : ne jamais révéler d'où ils viennent à personne, ne jamais interférer avec le cours de l'Histoire, et surtout ne jamais développer de relation intime et surtout pas physique avec quiconque en dehors de leur communauté. Lorsqu'elle arrive à New-York, à notre époque, Prenna a douze ans et un premier mystère se pose : où est passé son père, supposé venir avec eux ? Elle ne croit pas sa mère ni les responsables de l'opération, qui prétendent qu'il a changé d'avis à la dernière minute.
Cinq ans plus tard, son amitié avec Ethan, un adolescent de notre époque, la perturbe. Prenna a de plus en plus de mal à croire les responsables de sa communauté, dont les intentions lui semblent floues. Si Prenna veut empêcher les épidémies de notre futur et la mort de ses petits frères, elle va devoir prendre elle-même le destin de l'humanité en mains.

Chronique : Ah ! J'ai kiffé ! Ça commence bien, hein ? Bon, faut dire aussi qu'Ann Brashares, en général, j'aime bien (Quatre filles et un jean, L'Amour dure plus qu'une vie). Et bah je maintiens mon impression. Au milieu des dystopies futuristes qui se multiplient depuis Hunger Games, ça fait plaisir de voir ce sujet pris sous un autre angle, pour une fois. En effet, cette fois c'est la nature qui a flanqué l'humanité en l'air, merci les moustiques et le réchauffement climatique -bon, c'est aussi de notre faute, c'est justement sur ça qu'on va travailler ici. Est-ce qu'on peut réparer nos erreurs passées directement dans la trame du temps sans provoquer de catastrophe temporelle ? (Ne répondez pas, c'est de la rhétorique, et d'ailleurs c'est moi qui cause.)
Y a une histoire d'amour. Bien sûr que y a une foutue histoire d'amour, la règle qui interdit de développer des relations intimes avec quiconque à l'extérieur de la communauté d'immigrants est un véritable appel à la débauche ! Pardon, je m'égare, mais avouez que ça leur pendait au nez... Cela dit je n'ai pas pu m'empêcher, en lisant les 12 règles des migrants, de trouver leur situation paradoxale, voir impraticable : ces gens sont supposés se fondre dans la population locale (nous). Personnellement si j'ai un camarade de classe qui refuse de voir un médecin ou d'aller à l'hosto même s'il s'est cassé le bras ou est en train de faire un malaise cardiaque, si ce même petit camarade refuse de créer des liens avec qui que ce soit, en ce qui me concerne ça va me mettre un peu plus que la puce à l'oreille, à plus forte raison s'ils sont plusieurs dans ce cas. Et ne parlons pas de la règle impliquant de "ne jamais perturber le cours de l'Histoire ni provoquer le moindre incident". Le simple fait de venir chez nous a potentiellement perturbé l'Histoire, le fait de se mêler à nous ne peut que provoquer des effets papillons en chaîne, même si les migrants se font tout petits. Ils sont là alors qu'ils n'étaient pas supposés y être, c'est déjà une perturbation.
Mais passons sur les détails techniques sur le voyage temporel, pas forcément toujours traités aussi bien que ça l'aurait dû. J'ai apprécié le panel de personnages, très vrais et bien construits -ça se fait rare, de nos jours, et c'est un des points que j'apprécie le plus, les personnages bien fichus. De Prenna à Ethan, en passant par Ben Kenobi, un mystérieux SDF, ou encore Monsieur Robert, un des responsables du programme qui ment si bien qu'il semble ne plus s'en apercevoir, chaque personnage a sa caractérisation bien à lui. Mon préféré ? Ethan, jamais désespéré, jamais en panique face au truc énorme qui lui tombe sur le coin de la gueule, toujours optimiste, toujours rassurant. J'adore ce gosse, je veux le même ! Et puis il est facétieux, joueur, un brin dragueur avec la fille qui lui plaît, bref, où est-ce qu'on signe pour l'adopter ?
À côté on a Prenna -y a un moment vous allez tous avoir envie de lui en retourner une parce que quand même, au cas où c'était pas évident que tu marchais droit dans un piège Ethan a dû te le dire vingt-cinq fois juste avant... Bref, passons. La gamine a tout de même un passif lourd -le plus jeune de ses frères, encore bébé, est mort dans ses bras alors qu'elle avait moins de douze ans. Le traumatisme lui est resté, d'ailleurs, et c'est à lui qu'elle dédie son voyage dans le temps. Entre deux chapitres, elle lui écrit des lettres, à ce petit frère mort, mais aussi pas encore né. Elle lui décrit notre monde à travers ses yeux de fille du futur, venue d'un monde où on vivait barricadé derrière sa moustiquaire, à s'asperger d'anti-moustique et à prier dans le noir. C'est fou comme on perd de vue la valeur des petites choses, comme l'humidité de l'herbe le matin, quand on y est habitué...
Pour se construire un futur, parfois, il est nécessaire de revenir dans le passé.